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Filament d'étincelle
3 octobre 2018

Les défis fabuleux et frappés des funambules calligraphes #2

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Mon sujet du jour est le Surnaturel. Je tiens à préciser que cette nouvelle fera l'objet d'une reprise totale pour l'étoffer davantage. 
Sur ce bonne lecture.

Le lien vers le texte d'Hime-chan : ICI


La voix de la mer 

Voilà cinq ans que je me suis enrôlé dans la Royale Navy. Une histoire assez banale en fait.

Second héritier d’une riche famille de la petite noblesse anglaise, à quelques kilomètre de Londre j’étais destiné au métier d’avocat, une carrière brillante qui me permettrait de vivre confortablement sans faire de l’ombre à son fils chéri, mon grand frère, son légitime successeur à la tête de nos terres. Surtout, avocat, j’aurais pu le mettre à l’abri de toutes les malversations financières qui rampaient d’une poche à l’autre entre les divers membres de la famille. Cependant, je n’arrivais pas à me résoudre à entrer à l’université. J'avais la peur constante de passer à côté de quelque chose.

Et depuis tout petit je côtoie les impitoyables manteaux rouges de Sa Majesté, fierté de toute la nation, avec le rêve de leur ressembler. La soif d’aventure et de sang me mordait la peau chaque jour que Dieu faisait. Ainsi, alors que mon entrée à la faculté de droit approchait et que je m’enfonçais dans une abysse noire aux reflets de désespoir, j’ai pris la décision la plus difficile et la plus insensée de toute mon existence et je suis parti pour Portsmouth avec une simple besace d’effets personnels et une bourse de pièces d’or, avec pour seul objectif de m’enrôler comme matelot à bord d’un des nombreux navires qui partaient faire du commerce dans les colonies.

C’était incroyable cette sensation de liberté absolue : traverser la campagne, franchir les portes de la ville, pénétrer dans le port, sentir l’iode et le bois mouillé, entendre le grincement des coques qui tanguaient doucement et les voix des marins qui criaient ou riaient. J'étais émerveillé par toute cette crasse et cette rugosité avec au milieu de ça, les manteaux rouges qui déambulaient avec superbe. Je ne mis pas longtemps à trouver un amiral qui accepte de me prendre à bord de son vaisseau.

S’en suivirent ces cinq années de galère où nous avons vogué à travers toutes les Caraïbes, tantôt traquant les pirates, tantôt assurant la sécurité des îles colorées de l’archipel quand nous étions à terre. J’ai tout appris sur ce navire, je suis passé par tous les postes. Je me suis fait des amis, nous avons bu, nous avons joué, nous avons joui ensemble dans des bordels. Sur terre comme sur la mer aucune tempête ne pouvait nous émousser. J’ai gagné la sympathie de mon commandant. Je dois avouer être un des seuls hommes à bord à être cultivé, mes compagnons étant de simples hommes sans terres et parfois sans famille. Même si j’ai eu quelques mois difficiles, je chérirai chacun des souvenirs et de ces moments de ma vie et ce jusqu’à la fin de mes jours. J’avais enfin trouvé ma voie, celle de la liberté au goût d’eau salée.

Pourtant me voici à l’aube d’une nouvelle ère de ma vie. Chaque fibre de mon corps me crie que plus rien ne sera jamais comme avant. Nous sommes amarrés à Portsmouth, là où tout a commencé. Nous déchargeons notre cargaison envoyée par le gouverneur de Jamaïque à sa Majesté. Je pose à terre l’un des nombreux sacs en toile que je transportais avec un autre matelot qui blasphème de toutes les fibres de son corps tant notre fardeau est lourd. Soudain, le capitaine me fait de grands signes en souriant. En face de lui un manteau rouge, entre deux âges, l’air sévère, me regarde avec insistance. Je comprends qu’il me faut aller à eux.

Nous sommes présentés. Il s’agit d’un haut gradé, le genre de personne à ne surtout pas froisser. Je me tiens droit, un peu anxieux. J’écoute avec attention ce que me dit mon amiral même si je ne peux m’empêcher de regarder avec admiration cette pointure de la marine anglaise.

“Le lieutenant général, Sir Thomas me demandait si j’avais un marin suffisamment intelligent et expérimenté pour prendre la tête d’un vaisseau dont l’amiral part en retraite ! J’aimerais que vous saisissiez cette chance mon garçon. Vous êtes le seul avec la tête suffisamment sur les épaules pour endosser un tel rôle.”

J'oublie un instant de respirer. Un mot et je deviens amiral de mon propre bâtiment. Je me tourne avec difficulté vers celui que je suis aveuglément depuis cinq ans.

“Amiral, l’honneur est immense pour moi que vous me recommandiez. Je suis tellement abasourdi aussi…”

Il se met à rire bruyamment tandis que Sir Thomas esquisse un sourire en coin.

“Comment se fait-il qu’aucun des membre de l’équipage ne souhaite en reprendre la tête ? je demande. Cet homme n’a-t-il donc pas de second ?”

L’un et l’autre perdent alors leur expression rieuse. Il échangent un regard inquiet.

“Je ne vais pas te mentir… Ce bateau n’a pas une très bonne réputation. Un de ses capitaines s’est pendu dans sa cabine et on raconte que ce navire est hanté.”

Ma tête esquive un mouvement de recul.

“Hanté ? Vous allez me dire que de braves gaillards capable d’affronter des vagues hautes de plusieurs mètres ont peur de fantômes ?

-C’est exactement ça. En revanche cela ne semble pas vous inquiéter, me répond Sir Thomas.

-Je crois en Dieu tout puissant, en sa miséricorde et en sa grande bonté, my lord. J’ai eu maintes fois l’occasion de constater qu’il veillait sur moi et ceux qui me sont chers. Si fantômes il y a, alors avec lui, fantômes je braverai.”

Cette fois lorsque mon capitaine éclate de rire, le lieutenant-général le suit.

“Alors je compte sur vous pour escorter mon navire avec le vôtre ? demande-t-il après s’être ressaisi.

-Je suis votre homme, monsieur.”

C’est comme ça que cinq ans après m’être enrôlé comme simple matelot je suis devenu amiral de mon propre navire : Pandora.

Tout l’équipage décide à la nouvelle de fêter le soir même mon départ d’un festin généreux au milieu des prostituées du port. Une dernière fois je profite de l’insouciance de n’être jamais qu'un marin parmi les autres. Lorsque l’aube arrive, je vois Sir Thomas monter sur le pont. Je salue mes amis d’un geste et m’avance sans me retourner vers mon nouveau supérieur.

Mon installation dans mes nouveaux quartiers se fait sans heurt et tous mes subalternes m’accueillent chaleureusement. Je suis présenté à mon second qui me guidera pour mes débuts avant de prendre à son tour sa retraite.

Je n’ai pas le temps de m’installer que nous devons déjà repartir. Le soleil brille et le vent nous est favorable. Très vite, je prends mes repères. Ce bateau a un équipage expérimenté et ils n’ont presque besoin d’aucune indication. Nous suivons l’énorme navire de ligne du lieutenant-général Thomas. Je suis assez serein. Rien ne semble pouvoir nous arriver. Quant à cette histoire de fantôme, aucun des membres de l’équipage n’y fait mention, ainsi je finis par l’oublier et une semaine passe sans qu’il n’y ait le moindre problème majeur.

Une nuit, je me réveille avec une envie pressante. L’atmosphère de ma cabine est humide et chaude et je décide d’aller faire mon affaire sur le pont. Tous mes marins dorment qu’ils soient dans la calle ou sur le pont à faire le guet. Je dois dire que par un temps aussi paisible, il est difficile de craindre quoi que ce soit et avec le navire de Sir Thomas un peu en avant, nous n’avons aucune raison de nous inquiéter des pirates.

L’endroit est presque désert. La lune ronde et pleine éclaire le bateau comme en plein jour. Je vois quelques corps en train de cuver ça et là. Je m’approche près du garde corps quand j’entends une voix cristalline derrière moi. Je souris en me rappelant les légendes entendues lors d’interminables parties de cartes à propos de sirènes qui aguichent les marins de leur voix pour les tuer. Je repars me coucher en fredonnant cet air familier.

Ce manège dure un certain temps. Je suis réveillé toutes les nuits, je monte sur le pont supérieur, entends cette voix enchanteresse et retourne me coucher. Je n’en fais pas état dans mon journal de bord mais j’attends avec impatience la nuit suivante, ce moment qui n’appartient qu’à moi. Je ne sais pas si c’est l’un de mes marins qui a secrètement une voix fabuleuse ou si c’est une sirène qui cherche à me séduire et à vrai dire cela m’importe peu car cela ne me semble pas dangereux. La beauté de ces instants se reflète dans le noir de l’océan, m'apaise et me remplit d’une intense paix intérieure.

Après plusieurs semaines de navigation, nous avons besoin de nous ravitailler. Nous accostons près d’une île portuaire et mes marins gagnent la terre sur des barques. Le crépuscule est déjà avancé et nous décidons de passer la nuit amarrés et que nous chargerons des provisions une fois l’aube venue. Cette nuit leur appartient et ils pourront chérir une femme jusqu’au lever du soleil.

Je dois admettre que j’attendais avec beaucoup de curiosité cette soirée. Je décide de ne pas changer ma routine. Je vais me coucher dans ma cabine comme tous les soirs mais je décide de ne pas dormir. J’écris le compte rendu de ma journée et je me plonge dans un bouquin. J’essaie de me concentrer mais je relis sans comprendre la première phrase.

Après une heure à tourner en rond, je sors de ma cabine avec ma discrétion habituelle. J’entends la voix qui chantonne une berceuse enfantine. Je reste caché dans un premier temps pour observer qui est présent. Étrangement, aucun de mes subalternes ne semble s’inquiéter de ce phénomène. J’attends que ceux-ci s’en aillent. Je dois découvrir coute que coute qui enchante mes nuits et charme mon âme. Mes matelots finissent par se disperser et je me cache sous un porche à l’abri de la lumière lunaire. La voix ne s’est pas arrêtée. Elle entonne de plus belle un merveilleux refrain.

C’est alors qu’une scène totalement insensée commence à se jouer devant mes yeux ébahis. Une jeune femmes saute de l’un des mâts pour atterrir en douceur sur le bois de la charpente. Ses cheveux d’incendies sont noués dans une tresse épaisse qui balaie ses reins. Sa peau diaphane semble refléter l’éclat de la Lune que ses yeux, levés vers la voûte céleste, semblent interroger. Ses lèvres bougent au rythme de la mélodie. Ses pieds caressent avec légèreté le bois, tournent dans une danse enfantine. Sa robe opaline se plie en suivant ses mouvements et ses courbes fines. Elle a la taille d’une femme mais les formes d’une fillette.

“Mademoiselle ? Que faites-vous, diable, à bord de mon navire ?”

Elle s’arrête net. Sa voix se meurt et elle me fixe de ses deux yeux d’acier. Jamais je n’avais vu plus innocent visage. La rondeur de son visage n’a pas encore laissé partir les rondeurs d’enfance et son petit nez retroussé ainsi que ses deux grands yeux incrédules lui donnent un air ingénu. Elle fait un pas en arrière.

“Ne partez pas, je ne vous ferais aucun mal.”

Elle secoue la tête puis va se cacher derrière un voilage. Je ne sais pas si elle court ou si elle vole et semble même presque flotter dans l’air. Je me lance à sa poursuite.

“Mademoiselle !! Vous n’avez rien à faire sur ce navire ! Veuillez décliner votre identité !”

J’entends alors un éclat de rire. Elle sort de sa cachette et vient jusqu'à moi. Elle est encore plus belle de près. Je ne dois pas me laisser déstabiliser !

“Mademoiselle ! Vous êtes à bord d’un bâtiment de Sa Majesté.

-Je sais ! J’étais là avant toi, bleusaille !

-Que voulez-vous dire ?

-T’as pas compris ? J’existe pas ! Je suis morte ! Tu vois pas que je marche pas ?”

Elle se recule et fait une sorte de roulage dans les airs.

“Les légendes disaient vrai alors. Ce bateau est hanté !

-Pourquoi tu pars pas en pleurant comme tous les autres en appelant ta maman.

-Sans vouloir vous offenser, je ne vous considère pas vraiment comme une menace. J’aime même beaucoup vous entendre chanter.

-Je savais que tu m’entendais…

-Puis-je savoir votre nom Milady ?

-Diana. Et toi ?

-Appelez moi Edwin. Mademoiselle serait-il déplacé de vous demander la raison de votre mort ?

-Ça l’est.

-Pardonnez mon impertinence.

-Tu peux arrêter d’être aussi poli ! On dirait un marin d’eau douce !!

-Je viens d’une importante famille, mademoiselle ! On a m’a appris la bienséance et la conduite à adopter avec les dames. Vous êtes en revanche la jeune personne la plus impertinente que j’ai pu rencontrer.

-Passe me voir demain soir. Je m’ennuie ici toute seule. Tu es distrayant.

-Je n’y manquerai pas, Milady. Chanterez-vous ?

-Je n'y manquerai pas, bleusaille !”

Elle fait éclater son rire dans la nuit paisible et des milliers de papillons semblent avoir colonisé mes entrailles.

Je ne peux cacher toute la journée qui suit mon impatience de la retrouver. Mon équipage me trouve agité et nerveux. Des milliers de questions me traversent l’esprit : Quelle est son histoire ? Pourquoi est-elle coincée entre deux monde ? Comment est-ce d’être un fantôme ? Qu’est-ce que le moment où l’on meurt ? Pourquoi suis-je le seul qui semble la percevoir ? Pourquoi est-elle si belle alors qu’elle n’est plus vivante ?

Nous remettons les voiles en fin de journée et l’île où nous nous sommes ravitaillés n’est déjà plus visible lorsque la nuit nous enveloppe. Je me repose quelques heures après avoir rédigé mon journal de bord, puis je sors discrètement de ma cabine comme chaque soir. En ouvrant la porte je tombe directement sur son charmant petit minois espiègle.

“Tu es en retard !

-Il n’avait pas été convenu d’une heure !

-T’es en retard parce que ça fait une heure que je t’attends ! Pousse-toi !”

Elle me passe complètement au travers, créant une vague d’un froid mordant sous ma peau. Elle déambule dans ma cabine, à demi éclairée par les rayons argentés de la Lune, frôlant de ses doigts la bougie encore chaude sur le bureau, mon journal ouvert et divers bibelots qui faisaient office de décoration, avant de se jeter sur mon lit.

“Comme tu as de la chance de pouvoir t’endormir dans un lit douillet.

-Bien-sûr vous ne dormez pas…

-Le concept de “repos éternel” ça te parle ?”

Je ris doucement puis affirme avec l’intention d’en savoir plus :

“Vous disparaissez le jour.

-Je me cache mais je suis toujours là. Viens près de moi.”

Elle se redresse puis tapote la place à côté d’elle.

“Je vois que tu as des tas de questions dans les yeux. Demande !

-Diana, je… pourquoi suis-je le seul à vous voir ?

-Je sais pas. Vous êtes trois à avoir remarqué ma présence depuis que je suis morte.

-Tu as toujours vécu ici ?

-Oui, je suis né et j’ai grandi sur ce bateau. C’est ma maison et mon tombeau. Un jour je te raconterai comment je suis morte, peut-être.”

Elle sourit puis passe sa main devant mon visage. Je suis pris d’une fatigue si puissante que je suis englouti dans le noir avant même d’avoir pu finir mon expiration.

Je ne me réveille que le lendemain lorsque les premiers rayons du soleil s'infiltrent à travers les vitres de ma cabine. Ces conversations se renouvellent tous les soirs. Parfois elle se contente de chanter, parfois elle répond à mes questions. Il arrive même qu’on ne parle pas, qu’on s’allonge au travers du lit, juste pour qu’elle m’écoute respirer comme, comme si je la faisait vivre par procuration. Aussi fantomatique soit-elle, elle est devenue une présence indispensable à mon équilibre. Bien que morte elle m’est vitale.

Un soir, comme tous les précédents, je lui ouvre ma porte. Son air est sombre. Il lui arrive parfois d’être mélancolique mais cette tristesse n’est jamais si tourmentée. Je la laisse entrer.

“Que vous arrive-t-il Milady ? L’un de mes hommes s’est montré grossier envers vous ?

-Une tempête approche. C’est fini.”

Je reste un moment silencieux. J’ai affronté de nombreuses houles. Pourquoi celle-ci serait-elle fatalement plus insurmontable que les autres ?

“Que voulez-vous dire ?

-Je veux dire que plusieurs vagues arrivent et qu’elles vont briser le navire en deux et que toi ainsi que tout l’équipage va mourir noyé.

-Vous essayez de me faire peur ?

-T’as pas eu peur de moi mais là je te dis que toi et tout ton équipage allez crever comme des chiens ! Tu n’as donc aucun instinct de survie ?

-La mort m’assure d’être avec vous pour l’éternité. C’est une situation qui ne m’inquiète pas.

-Tu en rêves, n’est-ce pas ? De me toucher en vrai.

-Votre compagnie me satisfait au-delà de simples désirs primaires si c’est là votre interrogation.

-Tu mens ! hurle-t-elle. Tu mens ! Tu es comme tous les autres ! Tu veux juste que je devienne ta chose !

-Diana !”

Mon interpellation l’arrête net dans sa crise. Elle tombe à genou et se met à sangloter des larmes qui ne coulent pas. Je m'agenouille près d’elle et tends mes mains vers elle.

“Je vous aime Diana. Je suis amoureux de vous. Si je suis destiné à mourir, alors soit, mais quand bien même j’aurais eu une longue vie, je serais resté sur ce bâteau à attendre chaque soir votre visite. Vous êtes la chose la plus insensée qui me soit arrivée. Je n’ai jamais espéré quoi que ce soit d’autre que votre compagnie et vos chansons. Alors oui, si Dieu décide me rappeler à ses côtés, j’ai la ferme intention de vous emmener avec moi.”

Elle approche ses paumes des miennes. Ses yeux brillent de tristesse.

“Je vous aurais empêché de trouver une femme…

-Je suis un navigateur. Mon épouse est la mer !

-Je suis votre maîtresse alors ? demande-t-elle sur un ton bougon.

-Je ne sais pas. Peut-être accepterez-vous de m’épouser quand j’aurais rejoint l’au-delà ?

-Vous serez gentil ?

-Ai-je déjà eu un comportement déplacé ?

-Je me suis brisée la nuque alors que plusieurs des matelots de mon père ont voulu me faire leur.”

Je reste silencieux, comprenant ce qu’elle vient de me dire.

“Je n’ai jamais imposé quoi que ce soit à une femme. Ce n’est pas avec la mienne que je commencerai. Cependant, je ne pense pas que les morts ont ce genre de désirs…

-Si je vous disais que c’était le cas ?”

Son air angélique se transforme en quelque chose de plus lascif qui réchauffe totalement mon corps. Elle sait parfaitement ce qu’elle dit et ce qu’elle fait.

“Vous êtes inconvenante, Milady. Vous vous jouez de moi.”

Elle se lève et se met à chanter. Jamais auparavant je n’ai entendu telle merveille. Elle donne tout son coffre et tout son être dans ce qui semble être sa dernière mélodie. C’est alors que l’orage craque juste au dessus de nos tête alors que toute l’après midi avait été ensoleillée et que rien ne laissait présager ce carnage dont nous allons être les victimes impuissantes.

Je me lève à mon tour et enfile mon manteau. Elle s’arrête de chanter.

“Pars pas !

-Milady ! Il me faut affronter mes responsabilités. Je suis capitaine de ce navire. Je serai bientôt à vos côtés.”

Je me rends sur le pont principal, l’eau de la pluie a déjà tout inondé et commence à l’infiltrer. Si une vague ne nous engloutit pas, nous coulerons lentement. Je donne mes ordres et prends la barre. Je suis déterminé à sauver mon navire. Près de moi Diana proteste violemment et m’exhorte à rejoindre ma cabine. Je vois plusieurs de mes marins passer par dessus-bord tant la houle nous chahute de tous les côtés. Je m’accroche de toutes mes forces à mon bateau, seul fil qui me retient à la vie. Le bois craque de tous les côtés. La coque est probablement percée. Soudain je vois une vague gigantesque nous fondre dessus avant de se briser contre le mât principal qui cède sous la pression. Il tombe sur les autres plus fragiles qui se brisent à leur tour.

“Mon Dieu prenez soin des survivants… Diana, mon amour… C’est l’heure.”

Elle cesse de crier des insanités et hoche la tête. Le navire émet un craquement à rivaliser avec le tonnerre et se fend en deux. Je lâche tout et me laisse tomber dans l’eau. Diana me suit en tombant avec moi. Je touche l’eau avec fracas, si bien que je suis un peu sonné lorsque je suis immergé. Je vois le doux visage de de Diana au-dessus de moi, ses cheveux flamboyants flottant autour d’elle. L’air me manque doucement. Je tends ma main vers elle. Elle s’approche soudain de moi et m’enveloppe dans son étreinte glacée. Je ferme les yeux et suis emporté dans les profondeurs.

Je me réveille après ce qui me semble une éternité. Je flotte à la surface de l’océan. Je ne peux pas être vivant… C’est impossible, pas après une tempête pareille. Je regarde autour de moi. Le corps diaphane de ma bien-aimée flotte près de moi. Je nage jusqu’à elle et tends la main pour la toucher. Quelle n’est pas ma surprise lorsque mes doigts se referment sur son poignet. Un peu plus loin j'aperçois une file de barques éclairée par des lanternes.

“Nous y sommes, chuchote Diana. L’au-delà des âmes mortes en mer.”


Image : Photographie personnelle de l'Hermionne prise depuis un cap en Bretagne, à l'aide d'un appareil photo et d'une jumelle sur l'objectif. 

 

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